Le Duc se trouve chez Lorenzo et pense y rencontrer sa mère et surtout sa sœur Caterina...
LE DUC
[...] (Il regarde autour de l’appartement.) Mais pourquoi ai-je trouvé cette maison vide de femmes ? II y en a quelquefois aux fenêtres et leur regard enchaîne longtemps celui qui passe dans la rue.
LORENZO
En effet, ma mère fut renommée pour sa beauté. Mais Votre Altesse l'a vue de loin, et la bonne dame ne l'est aujourd'hui que pour sa vertu.
LE DUC
Par saint Cosme ! Il s'agit bien de ta mère ! Elle n'est pas seule ici. Dis-moi, où est ta sœur ?
LORENZO
Ma petite sœur ?
LE DUC
Pourquoi la faire si petite ? Elle a bien quinze ans. Ce n'est pas mon œil exercé qui s'y tromperait.
LORENZO
En vérité, c'est un enfant.
LE DUC
C'est un enfant qui allume des passions d'homme. Tiens, Lorenzo, il faut que tu saches le vrai motif de ma visite j'espérais la voir.
LORENZO
Par quel art cette petite fille a-t-elle su inspirer tant de curiosité à Votre Altesse ?
LE DUC
De la curiosité ? Dis donc de l'amour, mais l'amour le plus violent, la passion la plus effrénée que j'ai ressentie de ma vie. Oh ! depuis plusieurs jours je m'enivre à la contempler, tantôt là, penchée vers cette fenêtre et livrant à la brise ses longs cheveux noirs, tantôt à l'Église, les yeux baissés sous son voile entr'ouvert, plus belle, plus naïve que les Vierges que notre vieux Michel-Ange rêvait aux beaux jours de sa jeunesse. Et puis, quand elle se lève et que, d'un pas léger, elle effleure les dalles du temple, la pétulante gaieté de son âge encore contenue par le recueillement de la prière, on dirait une hirondelle, vive et flexible qui va s'élancer du portique dans les airs ! Oh ! va la chercher, Lorenzino, que je touche sa taille élastique, que je fasse de mes deux mains une ceinture étroite à sa taille déliée, que je respire le parfum de ses cheveux brillants ! Va la chercher ! Je n'aime plus aucune des femmes que tu m'as livrées, et je te tiens quitte, à l'avenir, de m'en trouver de nouvelles, si dès aujourd'hui tu peux me procurer un rendez-vous avec cet ange.
LORENZINO
Dès aujourd'hui ? C'est difficile. La petite est farouche et vous aurez toute une éducation à faire. En outre sa mère est d'une vigilance austère et nous aurons de la peine à décider l'une et à éloigner l'autre. Donnez-moi quelques jours.
LE DUC
Ne me parle pas de retards. J'ai déjà trop souffert et trop attendu. Songe qu'il ne s'agit plus d'une de ces fantaisies d'un jour qui réveillaient à peine mon sang engourdi. Songe que si tu te mêles d'avoir des scrupules la chose du monde qui te siérait le moins ta sœur ne tombera pas moins à mon pouvoir. L'amour ne connaît pas d'obstacles et le mien surtout. Songe enfin, que si tu abrèges ma cruelle angoisse, tu obtiendras tout ce que tu demanderas, fût-ce la première charge de l'État, ou la fortune de Cosme au mépris des lois, ou la tête de ton ennemi. Essaye.
LORENZO
Je n'ai pas besoin de toutes ces promesses. Vous savez bien que, si la chose est humainement possible, Lorenzo vous servira.
LE DUC
Cours donc, ami. Dis-lui que le duc de Florence se meurt d'amour pour elle. Dis-lui qu'il couvrira de perles et de pierreries sa noire chevelure et son sein naissant et ses bras moelleux. Dis-lui qu'il lui donnera le plus beau cheval que Naples ait jamais fait courir dans ses fêtes, la plus belle haquenée de toutes les Espagnes, des étoffes d'or et des voiles brodés de Constantinople... Tu rêves et ne me réponds point ?
LORENZO
Je cherche un moyen. Si je pouvais l'éloigner un instant de sa mère, la femme est toujours femme, et la vertu s'amollit devant les richesses comme la cire devant le feu.
LE DUC, détachant sa bourse de sa ceinture.
Tiens, prends cet or pour commencer et dis-lui de demander la fortune de vingt familles.
Mais hâte-toi !
LORENZO
J'obéis ! Mais il faut que Votre Altesse évite les yeux clairvoyants de ma mère. Si elle concevait le moindre soupçon, la petite serait jetée dans un couvent ou envoyée aux Strozzi. Dans deux heures, je serai au Palais et j'espère porter à Votre Altesse une réponse favorable.
LE DUC
Je compte sur toi ! Compte sur la récompense.
LORENZO, Seul
Oui, compte sur moi ! Je jure par le ciel et par l'enfer, par le sein de ma mère et par la damnation éternelle que tu me trouveras aujourd'hui. Toi-même as marqué ton heure. O mon bien-aimé maître, je te remercie !
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